Thibaut Octave : C’est quoi l’histoire de ta cicatrice ?
What’s the story of your scar?
Marion : Pour te raconter l’histoire de ma cicatrice, je vais être obligée de réfléchir un tout petit peu en même tant que je parle. J’ai une mémoire extrêmement sélective sur les mauvais souvenirs et douleurs (rires). Donc j’ai occulté sans doute beaucoup de choses.
To tell you the story of my scar, I'm going to have to think a little bit as I speak. I have an extremely selective memory about bad memories and pain (laughs). So I've probably suppressed a lot of things.
Déjà l’histoire de cette cicatrice et de comment j’en suis arrivée là : je suis hyperlaxe ; c’est les articulations qui font des mouvements extraordinaires avec les bras, les jambes, etc. En plus, j’étais hyper sportive, j’ai fait notamment énormément de danse ce qui a contribué à me rendre encore plus hyperlaxe. J’ai fait beaucoup de cross et bien d’autres choses. Depuis toute petite j’ai eu une certaine tendance à me luxer la rotule, ce qui veut dire que ma rotule se déboîte et s’en va de sa cavité normale, ce qui peut être sans grande conséquence si on arrive à le maîtriser, sauf que dans mon cas j’ai été très têtue et poussive avec mon corps et donc je faisais luxation sur luxation. J’étais tellement têtue qu’un jour la rotule n’est pas revenue toute seule alors je l’ai remise en place comme une grande, parce que je suis très dure (rires). Quand je suis arrivée aux urgences on m’a dit que j’étais la deuxième qu’ils rencontraient à avoir fait ça toute seule, l’autre c’était un rugbyman et il était tombé dans les pommes. Alors moi j’arrivais du haut de mes 17 ans, danseuse classique, j’avais remis ma rotule et je leur disais « Est-ce que je peux bientôt y aller ? Dans combien de temps je pourrai re-danser s’il vous plaît ? ». Donc ça c’est le contexte.
So, the story of this scar and how I got there: I am hyperlaxed; it is the joints that make extraordinary movements with the arms, legs, etc. In addition, I was hyper-sporty, I did a lot of dancing which contributed to my hyperlaxis. I did a lot of cross-country and many other things. Since I was very young I had a certain tendency to dislocate my patella, which means that my patella dislocates and goes out of its normal cavity, which can be of no great consequence if one manages to control it, except that in my case I was very stubborn and pushing with my body and therefore I was doing dislocation upon dislocation. I was so stubborn that one day the patella didn't come back on its own so I put it back in place like a big girl, because I'm very tough (laughs). When I got to the emergency room I was told that I was the second person they'd met who'd done this on her own, the other one was a rugby player and he'd passed out. So I was coming in from my 17th birthday, a ballet dancer, I had put my kneecap back on and I said, "Can I go soon? How soon can I dance again, please? ». So that's the context.
Tout allait à peu près bien. Je faisais des pauses régulières, j’étais souvent embêtée par mon genou, immobilisée quelques temps et je repartais, jusqu’à un premier de l’an. Je ne sais plus quelle année c’était. Comme j’ai été opéré à 20 ans en 2009, ça devait être pour le nouvel an 2009. C’était un accident très bête. On fait la fête, je glisse en dansant sur un sol humide, ma rotule se déboîte, on est au fin fond de l’Auvergne. Vraiment au fond du monde dans un tout petit village où on avait loué une salle polyvalente pour être sûrs qu’on n’embêterait personne en mettant la musique très fort. Donc la rotule se déboîte, revient difficilement. Une nouvelle fois c’est moi qui la remet. Heureusement il fait très, très froid, dehors il neige. J’ai des amis infirmiers et médecins qui immédiatement m’amènent de la glace et on appelle les pompiers. Les pompiers arrivent. Je suis transporté aux urgences. Donc là, j’ai un genou qui a doublé ou triplé de volume. Je ne me rends pas compte de ce que ça veut dire si ce n’est qu’il est énorme. On doit découper mon jeans parce que je ne peux pas le quitter. Ça c’est mon nouvel an aux urgences.
Everything was going pretty well. I was taking regular breaks, I was often annoyed by my knee, immobilized for a while and then I would go again, until New Year's Eve. I don't remember what year it was. As I was operated on at the age of 20 in 2009, it must have been for New Year's Eve 2009. It was a very stupid accident. We're partying, I'm slipping while dancing on a wet floor, my kneecap slips out, we're in the farthest part of the Auvergne. We're in a very small village where we'd rented a multi-purpose hall to make sure we wouldn't bother anyone by playing the music really loud. So the kneecap comes off and it's difficult to get it back in. Once again, I put it back in. Luckily it's very, very cold, outside it's snowing. I have friends who are nurses and doctors who immediately bring me ice and we call the fire brigade. The fire brigade is coming. I am transported to the emergency room. So now I have a knee that has doubled or tripled in volume. I don't realize what that means except it's huge. They have to cut up my jeans because I can't leave them. This is my New Year's Eve in the ER.
On fait des examens. Pour moi rien de nouveau c’est une luxation de plus. Je pense que ce n’est pas forcément un problème et que ça va se régler comme d’habitude. Or, il se trouve que c’est plus grave, avec les examens on se rend compte que c’est vraiment une malformation de naissance, que je suis hyperlaxe et qu’il vaut mieux opérer. L’opération s’appelle une TTA (Transposition de la tubérosité tibiale antérieure) : On te casse le tibia, de te ré-axe la rotule et on raccorde le tout. Sauf que mon problème c’est que c’est que je suis tellement bien blessée que je ne suis pas opérable tout de suite parce que mon genou est beaucoup trop enflammé. S’en suivent plusieurs mois sur béquilles, immobilisée au maximum pour que l’inflammation passe complètement et que je puisse subir une opération. Moi j’ai très, très mal, mais vraiment beaucoup plus que d’habitude et surtout je sens qu’il y a quelque chose qui bouge dans ce genou. Il y a un élément que je n’avais jamais ressenti auparavant. J’en parle au chirurgien qui dit « Écoutez, OK très bien. Je ne vois pas ce que ça peut être. » Je vous rappelle quand même que j’ai 20 ans. Et je lui dis « Je suis désolée, je ne suis pas folle mais de temps en temps il y a un truc qui se balade dans mon genou », là il me répond « Oui oui. »
They're running tests. For me, it's nothing new. It's just another dislocation. I think it's not necessarily a problem and it will go away as usual. But it turns out that it's more serious, with the tests we realize that it's really a birth defect, that I'm hyperlaxed and that it's better to operate. The operation is called a TTA (Tibial Tuberosity Advancement): we break your tibia, re-axis your patella and connect the whole thing. Except that my problem is that I'm so badly injured that they can't operate right away because my knee is much too inflamed. So I'm on crutches for several months, immobilized as much as possible so that the inflammation can pass completely and I can undergo an operation. It hurts very, very much, but really much more than usual and above all, I feel that there is something moving in this knee. There's something I've never felt before. I talk to the surgeon about it and he says, "Listen, OK, fine. I don't see what it could be." I'll remind you, though, that I'm 20 years old. And I say, "I'm sorry, I'm not crazy, but every once in a while something moves around in my knee," and then he says, "Yeah, yeah."
Et donc la veille de l’opération, toujours très têtue, voyant que le chirurgien ne me croyait pas je me dis je vais voir. Alors je bouge mon genou au maximum jusqu’à ce que je sente un petit truc qui se positionne juste à côté de ma rotule et là je me dis c’est bon il est là. Le lendemain le chirurgien m’opère et il me dit « Écoutez mademoiselle, je ne vous avais pas cru mais effectivement il y avait un bout de cartilage assez gros qui s’était détaché du cartilage du genou à cause du choc avec la rotule. Ça n’arrive jamais à votre âge, c’est extrêmement rare. Désolé, je ne vous ai pas cru. Mais pour me faire pardonner j’ai fait de la couture sur votre genou. » Il avait opéré assez large parce qu’avec une TTA il faut péter le tibia puis remonter au niveau du fémur. Bref, il m’explique tout ça et il me dit « Vous avez un genou dans l’état de quelqu’un de 70 ans. Ça ne va pas être simple, il va falloir faire de la rééducation mais vous avez une belle cicatrice. » Donc voilà c’est l’histoire de cette cicatrice.
And so the day before the operation, always very stubborn, seeing that the surgeon didn't believe me, I said to myself I will see. So I move my knee as much as I can until I feel a little thing that's positioned right next to my kneecap and then I say to myself, "Okay, it's there". The next day the surgeon operated on me and he said, "Listen, miss, I didn't believe you, but there was actually a piece of cartilage that was quite large and had come off the knee cartilage because of the impact with the patella. That never happens at your age, it's extremely rare. I'm sorry, I didn't believe you. But to make it up to you, I made couture with your scar." He had operated quite wide because with TTA you have to break the tibia and then go up to the femur. He explained all this to me and said, "You have a knee like a 70-year-old. It's not going to be easy, you're going to need physiotherapy but you have a nice scar." So that's the story of that scar.
C’est aussi un vrai changement de vie, d’abord parce que c’est pas le même corps avant/après, on ne fait pas les mêmes choses avec ce corps-là. J’étais en pleine classe préparatoire. J’ai dû, après cette opération, encore être beaucoup immobilisée Parce que c’est une fracture pendant une opération donc on ne peut pas plâtrer mais on peut pas bouger non plus pour que l’os se recolle. Du coup c’est immobilisation totale pendant plusieurs mois. Bien sûr, plus de sport pendant quelques temps, une rééducation qui peut se faire uniquement dans l’eau parce que pendant l’immobilisation totale tout le muscle fond donc on n’a plus de muscle. C’est très bizarre, c’est là où on « comprend » les sensations des gens qui ont perdu leurs deux jambes. On a une jambe en chewing-gum qui ne sert plus à rien et on ne retrouve de la mobilité que dans l’eau où on n’a plus le poids et la poussée. Donc voilà.
It's also a real-life change, first of all, because it's not the same body before/after, I don't do the same things with that body. I was in the middle of my prep class. After this operation, I had to be immobilized a lot again because it's a fracture during an operation, so you can't put a plaster cast on it, but you can't move either so that the bone can be reattached. So it's a total immobilization for several months. Of course, no more sport for a while, physiotherapy that can only be done in water because during the total immobilization all the muscle disappears so there is no more muscle. It's very strange, this is where we "understand" the feelings of people who have lost both their legs. We have a leg made of chewing gum that is no longer useful and we only find mobility in the water where we no longer have the weight and the thrust. So that's it.
Et puis bien sûr, dès que j’ai pu remarcher j’ai repris mes études. Je n’ai vraiment fait des progrès et recommencé à avoir une vie normale après mon échange en Master 2 au Brésil parce que j’ai appris à marcher et à courir véritablement dans le sable parce que je n’avais plus peur de tomber. C’était un vrai traumatisme psychologique. C’est encore là, car à chaque fois que je vois une danseuse faire des pirouettes ou quelqu’un courir ou faire une torsion avec son genou je me crispe et je revois la douleur. Et après le Brésil j’avais moins peur de tomber. J’ai aussi passé 7 mois dans un contexte complètement différent où j’ai changé ma relation avec mon corps parce qu’il y avait du soleil, parce qu’il y avait plus de plage, tout ça a dû contribuer.
And then of course, as soon as I could walk again I went back to school. I really made progress and started to have a normal life again after my Master 2 exchange in Brazil because I really learned to walk and run in the sand because I was no longer afraid of falling. It was a real psychological trauma. It's still there because every time I see a dancer doing pirouettes or someone running or twisting his or her knee I get tense and I feel the pain again. And after Brazil, I was less afraid of falling. I also spent 7 months in a completely different context where I changed my relationship with my body because there was sun, because there was more beach, all that must have contributed.
Et ensuite la deuxième étape ça a été ma rencontre avec Clément qui m’a poussé à me réapproprier ce genou et on a pu en 2015 grimper notre premier tout premier 4000 et aller jusqu’au Grand-Paradis et ça c’était une belle victoire qui a été un tout petit peu gâchée parce qu’on n’a pas pu faire le Mont Blanc car la semaine suivante mon genou a refait des siennes, mais je reste sur ce bon souvenir et je ne doute pas qu’un jour je pourrai gravir le Mont Blanc.
And then the second stage was my meeting with Clément who pushed me to regain this knee and we were able in 2015 to climb our very first 4000 and go to the Grand-Paradis and that was a great victory which was a little bit spoiled because we couldn't do the Mont Blanc because the following week my knee problems came back, but I still have good memories and I don't doubt that one day I'll be able to climb the Mont Blanc.